Adrienne Mayor – Les Amazones. Quand les femmes étaient les égales des hommes
Adrienne Mayor, Les Amazones. Quand les femmes étaient les égales des hommes (VIIIème siècle av. J.C. – Ier siècle apr. J.C.), Paris, La Découverte, 2017
Des femmes ont combattu d’une manière non-exceptionnelle dans l’Antiquité, et ce sur un territoire steppique allant de Thrace jusqu’en Chine : voilà ce dont il est question dans cet ouvrage au titre sensationnel, mais qui n’en demeure pas moins une sérieuse démonstration étayée par de nombreuses découvertes archéologiques récentes. La préfacière résume l’essentiel :
« La steppe était habitée, depuis la fin de l’âge du Bronze jusqu’à l’Empire romain au moins, par des peuples de cavaliers où femmes et hommes participaient de la même manière à la chasse et aux combats. La technologie la plus récente (analyse d’ADN) permet de vaincre les dernières résistances : certains des défunts porteurs de blessures de guerre et enterrés avec leurs armes étaient des femmes » (p. 14).
Cette nouvelle archéologie a permis d’en finir avec une archéologie andro-centrée attribuant systématiquement au sexe masculin toute dépouille d’humain armé, et de démentir l’idée de générations de chercheurs sexistes selon laquelle les Amazones, ces guerrières légendaires de l’Antiquité grecque, ne seraient que des personnages mythologiques. Derrière ces mythes grecs, il y a bien une réalité : « Oui, des Amazones – et il faut entendre le terme dans le sens générique de « femmes guerrières » ont existé » (p. 15). Et ce, même si « les sépultures féminines avec dépôts d’armes trouvées dans le nord est de la mer Noire […] ne concernent que 20 % (au maximum) des tombes féminines du contexte historique étudié », et que s’il « y eut bien des femmes guerrières dans la région du Don dès le VIème siècle, […] celles-ci accompagnaient des hommes et constituaient une « classe », déterminée par un statut social et un âge particuliers » (p. 15). Il faut donc se garder de toute généralisation abusive, et de parler d’un « matriarcat » (qui a toujours été, paradoxalement, un mythe patriarcal) ou même d’une « égalité de genre » à cette époque. Néanmoins,
« des femmes guerrières ont partout été présentes, de la Chine à la Grande-Bretagne […]. Le comparatisme […] est un bon argument pour souligner l’absurdité de la thèse selon laquelle les femmes n’ont jamais eu accès aux armes en raison d’un rapport spécifique qu’elles entretiendraient avec le sang qui coule » (pp. 15-16).
Cela confirme l’impérieuse nécessité de critiquer l’idéalisme d’Alain Testart au sujet du monopole masculin des armes, celui-ci étant davantage lié à un fait social de domination qu’à un tabou du sang menstruel : ainsi, ce monopole a été altéré en raison des nécessités de reproduction sociale des (inégalitaires) sociétés steppiques, preuve d’un primat de ces nécessités sociales par rapport aux tabous. La thèse de Paola Tabet au sujet du monopole masculin des armes semble donc davantage fondée, même si elle doit être nuancée : s’il y a bien de manière générale un monopole masculin des armes, fondement en dernière instance du patriarcat, celui-ci peut être altéré en fonction de nécessités pratiques. Quoiqu’il en soit,
« le modèle [transhistorique] de l’épouse recluse dans sa maison, affectée à des tâches domestiques tandis que son mari vaque aux affaires publiques est à revoir » (p. 16)
et ce d’autant plus qu’il n’a jamais été valable que pour des groupes sociaux et des époques restreintes. Pour autant, la domination de genre reste néanmoins un fait incontestable dans l’Antiquité grecque. On lira également à ce sujet Hommes et femmes dans l’Antiquité grecque et romaine. Le genre : méthode et documents (Collin, 2011) et Women and War in Antiquity (Johns Hopkins University Press, 2015).
Le prologue d’Adrienne Mayer rappelle que « des preuves indiscutables montrent maintenant que les traditions des Grecs et d’autres sociétés anciennes » au sujet des femmes guerrières « étaient liées à des faits historiques » (p. 31). Ainsi, « l’archéologie montre qu’environ une femme nomade des steppes sur trois ou quatre, inhumée avec ses armes était une guerrière active » (p. 32). Ainsi, « les femmes scythes ordinaires pouvaient être des chasseuses et des guerrières » (p. 32), même si elles n’étaient guère en rupture avec l’ordre patriarcal, puisqu’elles continuaient d’être soumise au devoir de procréation. Toutefois, elles avaient une agency supérieure aux femmes grecques du fait de leur possession d’armes. Quoiqu’il en soit, « des femmes ressemblant aux Amazones ont vraiment existé – même si les mythes ont été évidemment fabriqués. Les découvertes archéologiques de squelettes de femmes blessées au cours de batailles et inhumées avec leurs armes apportent la preuve que des guerrières ont réellement vécu parmi les nomades des steppes d’Eurasie. Les Amazones sont des femmes scythes » (p. 32). Les deux chapitres suivants sont justement consacrés aux Scythes et aux Sarmates, groupes steppiques où se trouvaient des femmes guerrières.
La 4ème partie, outre qu’il développe une pertinente critique de l’androcentrisme de générations d’archéologues, dresse un état des lieux des découvertes archéologiques au sujet des femmes guerrières. Il fournit des informations précises au sujet de leur proportion. Ainsi,
« dans certaines nécropoles les femmes armées occupent près de 37 % du total des tombes. Dans le nord de la région mer Noire/Don/Volga, environ 20 % des tombes datant des Vème et IVème siècles contenant des armes se sont révélées être celles de femmes. […] Au moins un quart des tombes de femmes en Scythie doivent être classées comme celles de guerrières » (pp. 88-108).
Plus précisément,
« le ratio entre le nombre de tombes de femmes et d’hommes dans lesquelles on a trouvé des armes laisse penser que les jeunes femmes les plus expérimentées et les plus courageuses pouvaient choisir de rester des chasseuses et des guerrières une fois adultes » (p. 109).
D’autre part, il se pourrait que ce ratio soit également un révélateur des obligations militaires des femmes d’un certain âge et d’un certain rang. Les jeunes femmes d’un rang aristocratique devaient vraisemblablement davantage combattre – et donc avoir des armes – que des femmes de 30-40 ans issues d’un groupe subordonné. Le monopole masculin des armes serait donc contrebalancé par une logique aristocratique.
L’écrasante majorité des chapitres, en-dehors du 4ème, sont consacrés aux mythes et aux récits plus ou moins historiques au sujet des femmes guerrières. On y trouvera de nombreuses informations à ce sujet, même si, comme notre intérêt pour cet ouvrage se limite à une archéologie historique des femmes guerrières, nous n’y avons pas prêté particulièrement d’attention. Cependant, ils sont extrêmement documentés, et on recommandera leur lecture aux intéressé-e-s, et ce d’autant plus qu’ils critiquent un certain nombre de légendes au sujet des femmes guerrières.
Au final,
« des cavalières, guerrières et chasseuses, ont été une réalité historique pendant plus de mille ans sur un vaste territoire qui s’étend de l’ouest de la mer Noire au nord de la Chine » (p. 88) :
cet ouvrage nous permet, ainsi, de nous rendre compte qu’il y a eu des milliers de femmes guerrières dans l’histoire, et ce non seulement à titre d’exceptions locales durant un temps limité – à l’instar de l’armée des femmes du Dahomey. Pour autant, le sous-titre de l’ouvrage reste largement trompeur, puisqu’il s’agit là d’une participation guerrière de certaines femmes, et non d’égalité de genre stricto sensu, même si cette participation permettait sans aucun doute une moins grande inégalité de genre que celle régnant dans des sociétés caractérisées au contraire par un monopole masculin absolu des armes. D’autre part, la volonté d’Adrienne Mayer de détruire les mythes au sujet des Amazones, notamment de leur supposé lesbianisme, virginité et/ou célibat, contribue involontairement à un renforcement de l’hétéronormativité et de l’équation normative femme = mère. On saluera néanmoins cette entreprise de démontage des mythes sexistes au sujet des femmes guerrières de l’Antiquité.
Armand Paris