Notes de lecture

Rouges-bruns [dossier]

Discussion critique des analyses existantes du phénomène rouge-brun

Notre analyse se distingue donc des analyses existantes du phénomène rouge-brun, qu’il s’agisse de celle des anti-fascistes et des anti-confusionnistes, de celle de Jean-Loup Amselle et de celle des libéraux.

La critique anti-fasciste (lesenrages.antifa-net.fr) et anti-confusionniste (confusionnisme.info) du phénomène rouge-brun, en se limitant parfois à une approche journalistique en termes de réseaux et de contacts, souffre d’un manque d’analyse, d’une certaine confusion et de raccourcis. Néanmoins, elle effectue un travail de veille qu’il convient de saluer, même s’il faut rester critique vis-à-vis de ses analyses souvent trop rapides et de certaines personnalités « anti-fascistes ».

La critique de Jean-Loup Amselle dans Les nouveaux rouges-bruns (Lignes, 2014), intéressante à certains égards, notamment sa condamnation de l’idéalisation primitiviste des sociétés de chasse et de cueillette (principalement écologiste et du MAUSS), du fétichisme de l’identité collective, de l’ethno-différencialisme, du populisme de Jean-Claude Michéa (même si on ne qualifiera pas celui-ci de rouge-brun, mais plutôt comme incarnant l’extrême-droite de l’extrême-gauche en raison de son populisme et de son conservatisme) et des dérives brunes-rouges (antisémitisme, négationnisme, conspirationnisme) d’un certain anti-colonialisme (Serge Thion, Dieudonné, Kémi Seba), souffre néanmoins d’un manque de rigueur analytique sur un certain nombre de sujets. Il effectue ainsi de nombreux raccourcis, se livrant à un amalgame fréquent des conservateurs de gauche (qu’il faut critiquer comme tels, et non comme rouges-bruns) et de l’extrême-droite. Plus précisément, le Parti des Indigènes de la République, en dépit de son discours populiste, interclassiste, identitaire, essentialiste, « anti-impérialiste » soutenant des dictatures tiersmondistes, homophobe, anti-féministe et antisémite (cf. « Pour une critique matérialiste de la question raciale »), ne peut être considéré stricto sensu comme « rouge-brun » puisqu’il s’agit avant tout d’une organisation antiraciste se situant en-dehors du clivage politique gauche-droite. De même, on ne peut dire qu’il y a une dérive vers l’extrême-droite de Noam Chomsky, en dépit de son « anti-impérialisme » tronqué. En outre, la critique de l’universalisme « blanc » n’est nullement une critique brune-rouge, mais au pire une critique anti-raciste essentialiste, au mieux une critique anti-raciste appuyé sur un corpus non-essentialiste et matérialiste, les critical whiteness studies, qu’Amselle disqualifie arbitrairement. La critique du pseudo-universalisme blanc peut d’ailleurs appeler à une connaissance « objective » et « universelle » en réseau et produite à partir de multiples points de vue situés (en fonction de notre position sociale de « race », de genre et de classe) plutôt qu’à un relativisme culturel, contrairement à ce que dit Jean-Loup Amselle : c’est d’ailleurs déjà ainsi qu’une partie de notre connaissance critique a été produite, avec des femmes l’enrichissant grâce à un point de vue féministe, des hommes racisés grâce à un point de vue antiraciste et des femmes racisées grâce à un point de vue intersectionnel. Jean-Loup Amselle s’attaque indistinctement aux identitarismes de dominants et de dominés dans une critique de l’essentialisme qui vire à une négation de l’existence des « races » comme constructions sociales réellement existantes du fait du caractère structurellement raciste de notre société (cf. le dernier Théorie communiste). Il disqualifie de manière caricaturale toute posture faisant du racisme une structure centrale des sociétés contemporaines comme identique à celle du PIR (essentialiste, anti-universaliste), occultant l’ensemble des analyses matérialistes articulant classe, genre et race comme structures fondamentales de notre société (cf. le dernier Théorie communiste) qu’il s’agit de dépasser (et donc d’abolir) de manière révolutionnaire.

Notre analyse se distingue enfin complètement du discours libéral d’une prétendue « convergence des extrêmes », d’une indifférenciation de l’extrême-gauche et de l’extrême-droite, voire d’interprétations fallacieuses du nazisme et du fascisme comme des mouvements d’extrême-gauche simplement en raison d’un discours « ouvriériste » et du rouge du drapeau nazi (cf. la critique de Sergio Bologna), alors même que ces mouvements une fois au pouvoir ont menées une féroce répression du mouvement ouvrier (cf. Fascisme et grand capital de Daniel Guérin) et n’avaient auparavant qu’un discours pseudo-anticapitaliste ne s’attaquant jamais aux fondements du capitalisme et des classes dominantes. En réalité, il y a toujours une dominante « brune » ou « rouge » dans un discours, une filiation intellectuelle ou une organisation – qui, dès lors, est plutôt d’extrême-gauche ou plutôt d’extrême-droite –, ensuite parce qu’on ne peut être « rouge » et « brun » en même temps sur un champ donné, et enfin parce qu’il existe également des convergences entre extrême-droite et libéralisme. Certes, l’existence de transfuges de l’extrême-gauche vers l’extrême-droite (Mussolini, Jacques Doriot, Roger Garaudy, Pierre Guillaume, Serge Thion, Thierry Meyssan, Charles Robin) et de stratégies d’attraction de l’extrême-droite d’une partie de l’extrême-gauche (stratégie d’attraction d’Egalité&Réconcliation des gauchistes anti-impérialistes) démontrent qu’il existe des convergences idéologiques entre une partie de l’extrême-gauche (sa droite) et une partie de l’extrême-droite (sa gauche). Toutefois, la critique de ces convergences par une partie de l’extrême-gauche (sa gauche) prouve qu’il y a bien une différence radicale entre « extrême-gauche » et « extrême-droite », et ce d’autant plus qu’il existe une radicale opposition entre la gauche de l’extrême-gauche et toute l’extrême-droite, supérieure à celle entre libéralisme et extrême-droite.

Cartographie (provisoire) des courants rouges-bruns

Nous identifions provisoirement de nombreux courants rouges-bruns, malgré des convergences entre certains courants, avec chacun une généalogie historique très particulière, malgré des figures communes à plusieurs courants :

  • Le courant rouge-brun écolo-néopaïen, incarné aujourd’hui par des personnalités comme Alain de Benoist, avec une généalogie allant des romantiques anti-industriels réactionnaires allemands aux anti-conformistes des années 1930 (Pelletier).
  • Le courant rouge-brun anti-industriel, incarné aujourd’hui par une personnalité comme Yannick Blanc du groupe anti-industriel de Grenoble Pièces-et-main-d’œuvre, et ses écrits anti-migrants, islamophobes, chauvins, transphobes, homophobes, anti-féministes, natalistes, pro-ordre moral et conspirationnistes, avec comme figure de référence comme Jacques Ellul, techno-critique anarchisant mais également homophobe, islamophobe, anti-féministe et minimisant l’importance du capitalisme comme catégorie d’analyse des sociétés modernes.
  • Le courant rouge-brun néo-proudhonien, avec comme figure emblématique Thibault Isabel (rédacteur en chef de Krisis, et auteur de L’anarchie sans le désordre) et comme auteurs de référence Proudhon (et son anti-féminisme), Le cercle Proudhon (amalgame du « monarchisme social » antisémite de Charles Maurras et du syndicalisme révolutionnaire anti-rationaliste d’Edouard Berth) et Alain de Benoist.
  • Le courant rouge-brun « national-anarchiste », défendant un monde post-étatiste fondé sur un séparatisme racial de communautés « anarchistes ».
  • Le courant rouge-brun stalinien, avec comme figure contemporaine Annie Lacroix-Riz, stalinienne négationniste de l’Holodomor (famine organisée en Ukraine sous Staline) et conspirationniste, nationaliste « gaullisto-thorézienne » favorable au capitalisme d’État et « anti-impérialiste » pro-russe, avec comme figure de référence Michel Clouscard, stalinien partisan de l’ordre moral, nostalgique de l’autorité traditionnelle, étatiste, anti-68, confusionniste (amalgame des libéraux et des libertaires, et qualification de ce « libéralisme-libertaire » comme « néo-fascisme »), homophobe et anti-féministe, et comme maison d’édition Delga, véritable entreprise de réhabilitation révisionniste de l’URSS et de Staline, négationniste de ses crimes et conspirationniste anti-trotskyste (tendanciellement antisémite).
  • Le courant rouge-brun antisioniste-antisémite, faisant d’Israël une création purement colonialiste ou même carrément fasciste, l’assimilant au nazisme, faisant de lui un super-impérialisme manipulant l’ensemble des États occidentaux et responsable de l’intégralité des guerres au Moyen-Orient, et ce dans une rhétorique caractéristique de l’antisémitisme.
  • Le courant rouge-brun conspirationniste, expliquant l’ensemble des événements historiques – et surtout des ravages du capitalisme – comme le produit de conspirations mondiales qu’il attribue aux organisations secrètes d’une oligarchie libérale financière cosmopolite, et ce dans une rhétorique caractéristique de l’antisémitisme structurel, puisque c’est aux juifs qu’historiquement ont été attribués de manière systématique l’ensemble de ces ravages du capitalisme (Postone).
  • Le courant rouge-brun national-bolchévique, avec comme courant historique de référence celui des nationaux-bolchéviques des années 1920, comme figure de référence Ernst Niekisch (fondateur du national-bolchévisme), Staline, Otto Strasser (nazi « de gauche ») et certains membres de la « révolution conservatrice » intellectuelle allemande des années 1920 (notamment Spengler).

Émissions de Sortir du capitalisme à ce sujet ou en lien

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